Les fuies, « trous story »
Dans les hauteurs de certaines demeures nobles du Béarn, un monde discret mais symbolique a longtemps niché entre les tuiles : celui des fuies ou « tours fuies », ces pigeonniers réservés à une élite. Témoins silencieux d’un temps où tout était bon dans le pigeon – de la viande aux fientes -, ces constructions méconnues méritent qu’on lève les yeux pour mieux les comprendre.

Le dictionnaire de l’Académie française est formel : le mot fuie est attesté vers 1135 au sens de fuite, puis à partir du XIIIe siècle de refuge et enfin de volière pour les pigeons. La « tour-fuie » désigne un pigeonnier accolé à une maison noble. Dans les plus anciennes, (fin du Moyen-Âge – XVIe siècle), l’escalier intérieur dessert les étages de la maison jusqu’à une pièce haute où nichent les pigeons. Au XVIIe, ces tours libérées de leur fonction de distribution servent uniquement de pigeonniers et peuvent se trouver n’importe où sur le domaine (c’est le cas de la tour-fuie du Château de Saint-Abit), à condition d’être visibles de tous : l’élevage des pigeons était, jusqu’à la Révolution, strictement réservé à la noblesse. Un monopole qui faisait de la fuie un signe extérieur de richesse.
Mais pourquoi des pigeons ? « C’était une source de viande fraîche. On utilisait aussi les œufs et le guano – appelé colombine – comme engrais pour les cultures. Seuls les nantis avaient le droit d’en faire commerce », explique Sophie Escudé-Quillet. Aujourd’hui chargée de production culturelle au Château de Pau, la médiatrice a étudié la tour fuie de la Maison Carrée dans le cadre d’un article pour le bulletin des Amis de Nay et de la Batbielle, en 2024.
Repérables à qui sait les voir
Les fuies ponctuent encore discrètement le paysage du Pays de Nay. La plus emblématique est sans doute celle d’Arros-de-Nay, visible depuis la véloroute. Ancienne dépendance du château local, elle présente les caractéristiques classiques de la fuie circulaire, avec ses ouvertures d’envol – les boulins – bien conservées. Certaines fuies plus modestes, datant du XIXe ou XXe siècle, apparaissent sur les façades des greniers : 3 à 5 trous accueillaient les pigeons. Les fermiers les mangeaient et exploitaient leurs fientes. Riches en azote et acide phosphorique, elles étaient considérées comme un engrais de luxe, notamment pour la vigne et le lin. « Témoins de modes de vie disparus, ces bâtis qui peuvent paraître insolites aujourd’hui disent pourtant quelque chose de la relation entre les hommes, leur habitat et leur environnement agricole » conclut Sophie Escudé‑Quillet.
Un patrimoine aérien, sobre mais éloquent, qui rappelle que dans le Pays de Nay, même les combles ont une histoire à raconter.
Le saviez-vous ?
Au XIIIe siècle, on consommait jusqu’à 400 pigeons par jour à la cour du roi de France.